Le fil conducteur de votre parcours est la difficulté à affirmer votre propre pouvoir et à poser vos limites face à des figures d’autorité (qu'elles soient masculines, féminines, ou votre boss, vos collègue ou encore vos enfants), en particulier dans des contextes où vous vous sentez en position d’apprentie ou de vulnérabilité. Vous avez tendance à rechercher la validation, à vous conformer aux attentes, et à vous mettre en retrait lorsque la relation devient asymétrique ou dévalorisante.
Ce schéma trouve possiblement ses racines dans votre histoire familiale, marquée par une présence paternelle/maternelle peu structurante (trop de rigidité ou de laxisme), ce qui a pu limiter l’apprentissage de la gestion saine du pouvoir et des limites dans la relation à l’autre. Vous avez grandi dans un environnement où l’expression des émotions était possible, mais où la confrontation saine à la puissance était peu présente.
Ce mode de fonctionnement se rejoue aujourd’hui dans votre rapport à certaines personnes et peut également influencer vos relations personnelles et professionnelles. Vous identifiez une difficulté à verbaliser vos ressentis en situation de désaccord ou de malaise, et une tendance à attendre que l’autre prenne en charge ou répare la relation.
Comment travailler à se faire respecter ?
L’axe central de progression est l’affirmation de votre pouvoir personnel et la capacité à rester à votre juste place dans la relation, sans vous abandonner à l’autre ni rechercher sa validation. Il s’agit de développer une conscience claire de votre valeur, d’apprendre à exprimer vos besoins et vos limites, et de vous autoriser à occuper une position d’égalité, même face à des figures d’autorité.
Pistes concrètes
- Observer dans vos interactions quotidiennes les moments où vous attendez une validation extérieure ou où vous vous mettez en retrait.
- Pratiquer l’expression directe de vos ressentis et besoins, même de façon simple (« Ce que vous venez de dire m’a blessée », « J’ai besoin de… »).
- Travailler sur la confiance en votre propre jugement et sur la légitimité de vos ressentis.
- Lire des ouvrages sur la question du pouvoir personnel et des limites (ex : « La petite princesse » recommandé en séance).
- Expérimenter de nouvelles postures dans vos relations, notamment en posant des questions ou en exprimant des désaccords, pour tester et renforcer votre capacité à rester dans votre zone de pouvoir.
Votre prise de conscience est déjà un pas important vers le changement. L’enjeu est désormais de vous exercer, dans la durée, à occuper pleinement votre place, à ne plus vous abandonner à l’autre, et à faire de votre ressenti une boussole fiable dans vos choix et vos relations.
La théorie pour expliquer le manque de respect et l'absence de limites
À travers l'études de cas cliniques au cabinet et en m'appuyant sur mes lecture, j'en suis arrivée aux conclusions suivantes. Ma théorie de la contention du pouvoir et de l’amour s’appuie sur l’idée que, dans la construction de l’individu, deux besoins fondamentaux doivent être contenus et régulés par l’environnement familial :
- Le besoin d’amour (reconnaissance, affection, sécurité affective) et le besoin de pouvoir (affirmation de soi, autonomie, capacité à influencer son environnement). Cette idée rejoint les travaux de John Bowlby sur l’attachement, qui montrent que la sécurité affective fournie par les figures parentales est essentielle au développement de l’enfant (Bowlby, Attachement et perte, 1969-1980).
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Parallèlement, la théorie de l’individuation de Margaret Mahler souligne l’importance pour l’enfant de développer son autonomie et
son affirmation de soi au sein d’un environnement suffisamment contenant (Mahler, The Psychological Birth of the Human Infant, 1975).
Dans l’enfance, ces deux besoins sont principalement incarnés par les figures parentales. Traditionnellement, la mère incarne la sphère de l’amour et le père celle du pouvoir, même si ces rôles peuvent être partagés ou inversés selon les familles ou dans les couples homosexuels, voire même et c’est ce qui fait la plus grande difficulté du sujet ; tenus par un seul et même parent en famille mono-parentale (voir Dolto, La cause des enfants, 1985 ; Winnicott, Jeu et réalité, 1971).
L’enfant a besoin d’être contenu dans ces deux dimensions :
- Il doit sentir qu’il est aimé, mais aussi qu’il existe des limites à l’amour (pour ne pas devenir tout-puissant affectivement, comme l’a montré Winnicott avec la notion de « mère suffisamment bonne » et de « holding »)
- Il doit pouvoir s’affirmer, mais aussi rencontrer la limite du pouvoir de l’autre (pour ne pas devenir tout-puissant ou, à l’inverse, totalement impuissant, ce que souligne Françoise Dolto à propos de la nécessité de la frustration structurante, ou de nos jours Caroline Goldman).
- Lorsque l’un de ces deux pôles est défaillant (absence, excès, manque de limites, confusion des rôles), l’enfant ne développe pas une perception claire de ses propres limites et de celles des autres.
Par exemple, Alice Miller (Le drame de l’enfant doué, 1979) décrit comment l’enfant qui n’a pas été reconnu dans ses besoins propres peut, à l’âge adulte, osciller entre recherche de fusion (amour) et quête de validation ou de domination (pouvoir). De même, la théorie systémique familiale (Virginia Satir, Conjointement vôtre, 1972) met en lumière l’importance de la clarté des rôles et des frontières dans la famille pour permettre à l’enfant de se construire de façon équilibrée.
Rudollf Dreikurs dans son ouvrage, Le défi de l’enfant, écrit cette phrase, qui, je trouve, encapsule très bien ce sujet : « Une mère adroite donne la plus grande preuve d’affection à son enfant en refusant fermement de le prendre pour plus faible qu’il n’est ».
L’affection réelle c’est de savoir lâcher l’autre et lui montrer qu’il est fort ET soutenu, j’avoue je suis fan
Manifestation de la théorie dans la vie d'adulte
a. Sur le plan de l’amour :
- Difficulté à poser des limites dans la relation affective (tendance à la fusion, à l’hyper-empathie, à l’oubli de soi).
- Besoin excessif de reconnaissance, peur du rejet, recherche de l’approbation de l’autre.
- Difficulté à tolérer la frustration ou la distance dans la relation.
b. Sur le plan du pouvoir :
- Difficulté à s’affirmer, à dire non, à exprimer ses besoins ou ses désaccords.
- Tendance à se soumettre à l’autorité ou, à l’inverse, à chercher à dominer pour compenser un sentiment d’impuissance.
- Attente que l’autre prenne en charge, protège ou décide à sa place.
c. Dans la relation à l’autorité :
- Positionnement en « petite fille » ou « petit garçon » face à des figures perçues comme puissantes.
- Recherche de validation, peur de décevoir, difficulté à occuper une place d’égal à égal.
- Sentiment d’injustice ou de blessure profonde en cas de rupture de la relation d’autorité ou de reconnaissance.
L’absence de contention saine du pouvoir et de l’amour conduit à des relations déséquilibrées, où l’on oscille entre dépendance affective et soumission, ou bien entre sur-adaptation et rébellion. L’enjeu est alors de retrouver une juste place, où l’on peut à la fois aimer et être aimé, s’affirmer et reconnaître la puissance de l’autre, sans se perdre, ni se soumettre.
Axes de travail sur le respect de soi et poser ses limites
a. Prendre conscience de ses schémas relationnels
- Identifier les situations où l’on se sent en manque d’amour ou de pouvoir.
- Repérer les moments où l’on attend de l’autre qu’il comble un vide ou qu’il prenne en charge.
ð Posez-vous la question : pourquoi suis-je en attente d’une réponse de cette personne ? En quel honneur ?
ð Si vous êtes légitime vous le saurez et la réponse deviendra plus forte à l’intérieur de vous non pas comme un désespoir mais comme une affirmation.
b. Travailler sur l’affirmation de soi
- Apprendre à exprimer ses besoins, ses ressentis et ses limites, même face à l’autorité.
- S’autoriser à dire non, à poser des questions, à exprimer des désaccords.
ð Le réflexe du « pourquoi ? » est toujours utile lorsqu’une personne vous sidère par son autorité : autorisez-vous à lui demander « Et pourquoi n’ai-je pas le droit de poser cette question ? » « Et pourquoi n’ai-je pas le droit à l’erreur avec toi ? ».
c. Renforcer la confiance en soi
- Se reconnecter à ses compétences, à sa valeur propre, indépendamment du regard ou de la validation de l’autre.
- Prendre des décisions pour soi, sans attendre l’approbation extérieure.
ð Ici votre ennemi c’est votre ego qui va basculer entre toute puissance et impuissance. Donc votre travail est de vous prendre en flagrant délit de montée ou de descente en puissance.
ð Puis de vous dire « stop, où est ma juste place ? Quelle vulnérabilité dois-je accepter et me pardonner ou pourquoi est-ce que je cherche à écraser ou surpasser cette personne ? » (à expérimenter face au conjoint et enfant).
d. Expérimenter la saine distance
- Observer dans chaque relation la juste distance à maintenir pour ne pas tomber dans la fusion ou la soumission.
- Se rappeler que l’on n’a pas à être sauvé ni à sauver l’autre, mais à coexister dans une relation d’égal à égal.
ð Imaginez que vous êtes un petit astéroïde (très sympathique, pas un qui fait exploser la terre) et que vous passez à côté des gens comme à côté des planètes. Si vous vous approchez trop vous pouvez vous faire absorber par le champ gravitationnel de la planète et soit finir en orbite soit carrément entrer dans l’atmosphère et vous y écraser)
ð Votre travail est de pouvoir circuler entre les planètes en pouvant vous en éloigner et vous en approcher sans vous faire prendre dans le champ gravitationnel. Si vous entrez dans le champ c’est que vous avez dépassé les limites de la personne et les votre, la marche arrière nécessite une poussé inverse énorme et c’est souvent soit de la colère de votre part qui VOUS propulse soit celle de l’autre qui VOUS expulse.
e. Revisiter son histoire familiale
- Comprendre comment les modèles parentaux ont influencé la gestion de l’amour et du pouvoir.
- Reconnaitre les manques et trop de puissance et d'amour chez nos parents pour mieux identifier nos propres difficultés et pouvoir pardonner de ne pas avoir su ou compris plus tôt.
ð Vous pouvez être lucide sur votre vécu sans pour autant le rejeter. C’est ok de ne pas avoir su plus tôt, et c’est ok pour eux de ne pas avoir su du tout.
ð Nous ne sommes pas tous équipés de la même façon pour gérer notre affect et nos émotions et l’inné comme l’acquis rendent beaucoup de personnes inaptes au sujet à un sens proche du handicap s’il n’y a pas d’accompagnement pro. Rien ne sert de leur en vouloir, en revanche vous avez maintenant la responsabilité de ce que vous savez et de ce dont vous pouvez décider pour avancer.
Conclusion
La contention du pouvoir et de l’amour est un équilibre dynamique à
construire tout au long de la vie. Prendre conscience de ses
déséquilibres, apprendre à poser ses limites et à reconnaître sa
propre valeur sont les clés pour sortir des schémas de dépendance
ou de soumission, et pour construire des relations plus libres, plus
justes et plus épanouissantes.
Aller petit astéroïde, le voyage commence :)